Bien qu’intéressé par les Têtes Raides depuis 1992 et la parution de leur album « les Oiseaux », qui contenait surtout un morceau fantastique, Gino, je n’ai jamais fait l’effort d’aller les voir sur scène, craignant une déception, du fait des racines « folkloriques françaises » de leur musique et la coloration néo-réaliste des textes (heureusement aussi largement surréalistes, pour compenser...), qui font toujours redouter une certaine beauferie. Mais après le sublime album « Le Bout du Toit », l’hésitation n’est plus de rigueur... et ce d’autant que la bande à Christian Vincent passe ici à Strasbourg à la Laiterie, certainement l’une des meilleures salles de rock que j’aie pu connaître au long de ma vie...

... Et le moins que je puisse dire au sortir de cette soirée enchanteresse, voire sublime, c’est que j’ai bien fait : les Têtes Raides comptent désormais un fan absolu de plus ! Imaginez près de deux heures de sensations fortes, d’étourdissement musical et... poétique (eh oui, le terme est fort, mais me semble approprié !) incessant, mais aussi de joie, de rires, de larmes... Bref, je viens de vivre l’un des grands concerts qui marquent la vie d’un homme ! Au début, on trouve que Christian Vincent a quand même une drôle de tête, et une présence scénique, certes intense, mais ambiguë : faut-il sourire de ses grimaces, ou au contraire partager cette tension, cette douleur sourde qu’il exprime tant par ses mots – virtuoses – que par sa voix, que l’on n’arrive pas à qualifier (froide ou au contraire chaleureuse...) ? Faut-il rire de ses plaisanteries, ou grincer des dents ? Mais cette ambiguïté fait rapidement tout son charme, et on arrive vite à le trouver d’autant plus fascinant qu’il semble impénétrable.

Derrière lui, le groupe, qui allie paradoxalement une virtuosité « classique » (cordes, cuivres, accordéon...) à une rugosité « punk » qu’on imagine venir de l’époque « Red Ted », confère une souffle incroyable à chacune des chansons, bien au-delà de ce qui est retranscrit sur les albums. Il faut aussi souligner une « mise en scène » frappante, qui évite le théâtral (plaie du rock français d’autrefois, souvenez-vous de Ange, dont les débuts furent pourtant également frappants) mais joue intelligemment des lumières, des gestes des musiciens et du chanteur, pour créer des variations subtiles d’atmosphère. Enfin il y a nous, le public, car je crois que c’est surtout nous qui soulevons les Têtes Raides vers les cieux de l’excellence : l’expérience cathartique de la scène fonctionne à plein, et rapidement, on est au delà de l’échange, on est dans le partage intense d’une musique qui devient vitale, qui nous touche au plus profond...

Mais attention, je le répète, on rit beaucoup lors d’un set des Têtes Raides, soit parce que les chansons clin d’oeil ne manquent pas (La Religieuse, L’Amour Tombe des Nues...), soit parce que Christian Vincent lance une des ses plaisanteries noires qui font contrepoint à une chanson un peu trop près de l’os. Sinon, le reste du temps, on a le coeur près d’éclater (St Vincent, l’Hermaphrodite), et on a l’impression d’être dans une bulle d’émotions, qui gonfle qui enfle, et qui n’éclate pas.

A la fin, c’est Gino, et on est tous là à hurler ensemble, c’est une tempête, c’est céleste et pourtant tellement brutal. C’est les Têtes Raides, et, je le répète, l’un des meilleurs concerts que j’aie vus et entendus jusqu’à ce jour. 

Pas de photos, malheureusement, de cette soirée !